menuMG

mardi 20 janvier 2015

Il y a 25 ans, « on faisait un jeu vidéo avec 5 000 euros »

Un article sympa vu sur le site lemonde.fr
 

Il y a 25 ans, « on faisait un jeu vidéo avec 5 000 euros »
Michael Sportouch, vice-président Europe d'Activision Blizzard chargé de la promotion de « Destiny », n'a pas oublié ses débuts dans l'industrie, quand celle-ci était encore artisanale.
 

Le Monde.fr | 09.09.2014 à 16h45 • Mis à jour le 11.09.2014 à 10h13 |  Par  William Audureau  
 
Space Harrier sur Atari ST. | Gamesdbase.com
 
Il n'est pas facile d'interviewer Michael Sportouch. Vice-président d'Activision chargé des licences Skykanders et Destiny, il est le porte-parole, forcément très mesuré, d'un éditeur qui génère 4,3 milliards de chiffre d'affaires par an. Comme tous les cadres des sociétés de jeu vidéo, a fortiori quand elles sont japonaises ou américaines, sa parole est contrôlée et sa marge d'improvisation quasi nulle.
Et pourtant, au bout de trente minutes d'interview, ses yeux s'illuminent lorsque nous quittons enfin notre siège, pressés par l'attaché de presse, qui préférerait renvoyer une question sur Space Harrier à une prochaine hypothétique rencontre. « Space Harrier ? », bredouille-t-il incrédule. « Amiga. 1988 ou 1989. Avec Paul Cuisset », répond-on comme un mot de passe incertain. « Je me souviens très bien », souffle Michael Sportouch, sourire en coin et regard dans le vague.
Nous sommes en 1989 ; un programmeur japonais de talent, Yû Suzuki (Out Run, Virtua Racing, Virtua Fighter, Shenmue...), a développé quatre ans plus tôt un jeu de tir futuriste dans lequel un homme, vu de dos, et jetpack à l'appui, traverse des planètes hostiles en bombardant des monstres peu ragoûtants : Space Harrier.


 

Avec ses effets de perspective, son rythme hypnotique et son ballet de couleurs, il est l'un des jeux les plus impressionnants de l'époque. Il devient l'un des principaux ambassadeurs de Sega aussi bien dans les salles d'arcade que sur sa console, la Master System, et des sociétés occidentales se manifestent pour pouvoir le porter sur le marché informatique.
Rencontre avec Elite
C'est le cas d'Elite, une entreprise britannique sise à Brighton qui souhaite convertir le jeu sur Atari ST et Amiga, deux ordinateurs de jeu phares de la fin des années 1980. « C'est une époque où il suffisait de l'équivalent de quelques dizaines de milliers d'euros pour acheter les droits d'un jeu. Cela n'avait rien à voir avec aujourd'hui », se remémore Michael Sportouch, soudain prolixe.
Comme de nombreux éditeurs dans les années 1980, elle ne dispose pas de développeurs, mais recherche de jeunes programmeurs motivés, peu coûteux, et de préférence expérimentés – un profil encore bien rare. Il se trouve que trois jeunes passionnés viennent justement de réaliser un casse-brique sur Atari ST, Tonic Tile.
 
Tonic Tile | Atarimania
 
Les trois hommes en question, ce sont Denis Mercier, Paul Cuisset, qui deviendra dans les années 1990 une des figures majeures du jeu vidéo français (Les Voyageurs du temps, Flashback), et Michael Sportouch lui-même, alors âgé de 17 ans, mais déjà doté d'un aplomb surprenant.
« Michael, qui était déjà un commercial averti, était directement allé voir Elite, une boîte assez importante en Angleterre qui faisait beaucoup d'adaptations de jeux d'arcade », se remémore Paul Cuisset au détour d'un entretien rétrospectif sur sa carrière. Les voilà avec leur premier contrat.
Pas un d'entre eux n'a plus de 20 ans. Ils se sont rencontrés dans une boutique de jeu vidéo parisienne, et c'est alors l'amateurisme qui les guide. Paul Cuisset est en plein service militaire et ne peut travailler que le soir, tandis que Denis Mercier passe le bac, et renonce à participer au projet.
 
Michael Sportouch fait quant à lui avec les moyens du bord : « J'étais étudiant, on n'avait pas de bureau, on faisait tout dans l'appartement de Paul », se souvient-il.
Système D
Les deux hommes n'ont pourtant pas le monopole de l'amateurisme. Elite a récupéré les droits du jeu Space Harrier, mais elle n'a ni le code source ni les documents de design pouvant permettre à ses développeurs de réaliser la conversion sur Atari ST. Il ne leur reste que le système D, relate Paul Cuisset.
Nous allions filmer la borne en cachette – c'était interdit – sur les Champs- Elysées. Pendant que l'un de nous y jouait [mon épouse] repérait les scripts et prenait des notes sur les vagues d'ennemis, leur comportement, etc. Heureusement, nous avions également une version Master System pour nous aider. C'est un peu comme si vous aviez fait une version pirate du hit de Sega.

La débrouille prédomine ainsi, loin du niveau d'industrialisation et de budget que connaît aujourd'hui le secteur. « A l'époque on faisait un jeu vidéo avec l'équivalent de 5 000 ou 6 000 euros, que l'on se partageait en deux, se rappelle M. Sportouch. Et encore, une bonne partie partait dans les allers-retours en Angleterre. »

 


Le duo parvient néanmoins à mener le projet à bien, et pas à moitié : l'adaptation est plébiscitée par la critique.
La voie du marketing
Quelques collaborations plus loin, leur route se sépare finalement. Paul Cuisset, le programmeur, se fait concepteur émérite et vedette de la « french touch » des années 1990, tandis que Michael Sportouch, le graphiste, décide de mettre son audace à meilleur service. « J'ai bifurqué du développement de jeu au marketing. Le plus doué de nous deux, sourit-il, c'était Paul. »
Il rejoint vers 1994 l'éditeur Ocean, puis Infogrames, Atari, Game One, et enfin en 2006, Activision Blizzard, numéro 1 mondial du secteur, et société emblématique de l'hypertrophie financière et du culte du secret qui caractérise désormais le secteur. 
« Nous ne communiquons pas sur les chiffres, car nous sommes cotés au Nasdaq et devons la primeur de ces informations à nos actionnaires », nous disait-il quelques minutes plus tôt. Mais sur Space Harrier, il avait plein de choses à raconter. « Paul est un copain, on est resté en contact », souffle-t-il avec affection, tout costume professionnel tombé.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire